Retour aux articles

Accidents de circulation : exclusivité de la loi du 5 juillet 1985 pour l’exercice de l'action récursoire de l'assureur subrogé contre un tiers

Affaires - Assurance
13/11/2020
Par arrêt du 5 novembre 2020 destiné à une large diffusion, la Cour de cassation ne permet plus à l’assureur subrogé d’agir sur le fondement du droit commun contre un tiers.
 
En l’espèce, à l’occasion du tournage d'un film produit par la société Ex nihilo, un couple de non-voyants a été heurté par un véhicule conduit par l'un des acteurs. Ledit véhicule a été mis à disposition de la société Ex Nihilo par un particulier, en remplacement d’un véhicule de tournage alors indisponible. 

La GMF, l’assureur de la voiture prêtée, a indemnisé les victimes sur le fondement de l’article L. 211-9 et suivants du Code des assurances. Il a ensuite exercé un recours subrogatoire à l’encontre de la société Ex Nihilo pour défaillance dans la sécurisation des lieux de tournage et un recours en responsabilité contre la société Allianz, assureur de cette dernière.

Le détail - crucial dans cette affaire - est le fondement juridique choisi par la GMF pour exercer son recours subrogatoire : les articles 1382 et 1383 du Code civil (devenu 1241 et 1242) et non  les dispositions de l’article L. 211-1 du Code des assurances.

Allianz, demandeur à la cassation, reproche à la cour d’appel d’avoir déclaré recevable le recours de la GMF. Il estime d’abord que l’article L. 211-1, issu de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, est une disposition spécifique qui, compte tenu du fait qu’il s’agit bien d’un accident de circulation, doit s’appliquer et non pas l’article L. 121-11 du Code des assurances qui reste une disposition d’ordre général. Ensuite, et subsidiairement, il estime que « l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, à l'exclusion de celles des articles 1382 et suivants (devenus 1240 et suivants) du code civil ».

La Cour de cassation suit Allianz dans son raisonnement.  Au visa des articles 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ; 1382 et 1383 du Code civil ; L. 121-12, alinéa 1er et L. 211-1, alinéas 2 et 3 du Code des assurances, elle affirme qu’« Il résulte du premier de ces textes que les victimes d'un accident dans lequel se trouve impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peuvent être indemnisées que sur le fondement des dispositions de la loi du 5 juillet 1985. Selon le dernier de ces textes, les contrats d'assurance couvrant la responsabilité mentionnée en son premier alinéa doivent également couvrir la responsabilité civile de toute personne ayant la garde ou la conduite, même non autorisée, du véhicule, et l'assureur n'est subrogé dans les droits que possède le créancier de l'indemnité contre la personne responsable de l'accident que lorsque la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire. Il en découle que l'assureur qui entend exercer un recours contre le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation pour obtenir le remboursement des indemnités allouées aux victimes de cet accident ne peut agir que sur le fondement de ce texte, à l'exclusion du droit commun ».

En son alinéa 2, l’article L. 211-1 dispose que « Les contrats d'assurance couvrant la responsabilité mentionnée au premier alinéa du présent article doivent également couvrir la responsabilité civile de toute personne ayant la garde ou la conduite, même non autorisée, du véhicule, à l'exception des professionnels de la réparation, de la vente et du contrôle de l'automobile, ainsi que la responsabilité civile des passagers du véhicule objet de l'assurance (…) ». Cette disposition, issue de la loi du 5 juillet 1985, attache solidement l'assurance de responsabilité au véhicule, même volé. Étant ainsi dans l’impossibilité d’agir sur ce fondement à l’encontre du conducteur, la GMF a fondé son recours subrogatoire contre le tiers – la société Ex Nihilo – sur le fondement du droit commun. Pour rappel, aucune faute n’a été caractérisée à l’égard du conducteur en l’espèce.  

Afin de bien cerner l’importance de l’arrêt et donc la « notation » dont il est assorti, il faut se remémorer l’évolution jurisprudentielle qui le précède. La règle selon laquelle l’assureur ne peut exercer un recours subrogatoire contre le conducteur d’un accident de la circulation pour obtenir le remboursement des indemnités allouées aux victimes que sur le fondement du Code des assurances a été dégagée par un arrêt du 12 septembre 2013 (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-24.409). En l’espèce, un groupe d’amis décident d’une sortie en discothèque avec le véhicule du père de l’un d’entre eux. La voiture, conduite par l’un des amis, percute un véhicule de la gendarmerie. Le recours de l’assureur est bien dirigé contre le conducteur et la Cour de cassation établit une règle claire. Mais quid du recours de l’assureur dirigé contre un tiers ?

Dans une affaire qui s’est présentée devant la Deuxième chambre civile il y a déjà 20 ans, un mineur avait volé une motocyclette et provoqué un accident (Cass. 2e civ., 9 mars 2000, n° 97-22.119). L’assureur, ayant agi contre les parents sur le fondement des dispositions du droit commun, a été débouté par la cour d’appel. L’arrêt est cassé au motif que « l'action récursoire exercée par l'assureur subrogé dans les droits de la victime contre les parents de la personne tenue à réparation était fondé tant sur la loi du 5 juillet 1985 que sur l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ». Ainsi, une option a été laissé à l’assureur exerçant un recours subrogatoire contre un tiers, option que comptait bien lever la GMF pour agir contre la société Ex Nihilo.

La présente solution ne permet plus à l’assureur de fonder son recours subrogatoire contre un tiers sur les dispositions du droit commun. Désormais, le droit spécial issu de la loi du 5 juillet 1985 joui d’une exclusivité totale quant aux recours subrogatoires pour obtenir le remboursement des indemnités allouées aux victimes d’un accident de la circulation, quelle que soit la qualité de la personne contre laquelle ledit recours est dirigé.
 
Source : Actualités du droit