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Cumul des poursuites pénales et administratives pour contrebande : et le non bis in idem dans tout ça ?

Affaires - Pénal des affaires
Pénal - Procédure pénale
15/06/2016
Par un arrêt du 9 juin 2016, la Cour européenne des droits de l'homme examine la conventionnalité du cumul des poursuites pénales et fiscales pour des faits de contrebande et retient une violation du droit de ne pas être poursuivi et jugé deux fois pour un même fait.
Deux procédures distinctes, mais présentant de très nombreuses similitudes sont à l'origine de cet arrêt.
Les requérants ont en effet tous deux été poursuivis du chef de contrebande, en 1994 et 1998. Condamnés à des peines d’emprisonnement en première instance, ils sont définitivement acquittés en appel. Entretemps, le directeur des services douaniers leur impose le paiement de sommes d'argent, l'un à titre de taxes de douanes non payées, y compris une majoration pour contrebande, l'autre pour délit fiscal de contrebande.
Les requérants saisissent le tribunal administratif pour contester les actes du directeur des douanes. Le tribunal administratif fait droit aux recours, prend en compte les arrêts d’acquittement et annule les actes attaqués, partiellement pour l'un d'eux. Les cours administratives d’appel saisies concluent en revanche à la commission des délits de contrebande. Les requérants se pourvoient devant le Conseil d’État. Ils se prévalent du principe non bis in idem et dénoncent donc le fait que les autorités fiscales leur aient infligé des peines pour contrebande, alors que les juridictions pénales les avaient déjà irrévocablement acquittés du même délit. Dans les deux affaires, le Conseil d’État rejette le pourvoi et confirme les arrêts des cours administratives d’appel.
Or il est de principe qu'une personne acquittée légalement ne peut plus être accusée à raison des mêmes faits (Protocole n° 7, art. 4).

La Cour européenne établit d'abord que les juridictions administratives ont examiné le bien-fondé d’une accusation en matière pénale : dans les deux séries de procédures, pénales et administratives, les sanctions prévues présentaient un caractère punitif. La Cour estime que la procédure administrative en cause concernait une seconde infraction ayant pour origine des faits identiques à ceux qui avaient fait l’objet d’un acquittement définitif. Ce constat suffit pour conclure à la violation de l’article 4 du Protocole n° 7.


Si la solution de la Cour n'est pas, en elle-même nouvelle, elle a le mérite de rappeler que ce n'est pas seulement le cumul des sanctions pénales et fiscales, mais également celui des procédures elles-mêmes, qui ne respecte pas les garanties issues du droit à un procès équitable.

Quelle leçon pour le Conseil constitutionnel, qui a récemment validé le cumul des poursuites pénales pour délit d'initié, avec des poursuites devant la commission des sanctions de l'AMF pour manquement d'initié. Dans une décision du 14 janvier 2016 (n° 2015-513/514/526 QPC), il a en effet considéré qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les principes de légalité et de nécessité des peines ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales, mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. L'approche est semblable à celle du juge européen, mais la conclusion bien différente.
Le Conseil constitutionnel retient en effet que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale, en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction : si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Aussi les faits prévus et réprimés par le Code pénal et le Code monétaire et financier doivent-ils être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente.
C'est, somme toute, faire peu de cas du droit de ne pas être poursuivi, et non pas seulement sanctionné, deux fois pour un même fait : la poursuite, aussi, se doit d'être équitable.
Source : Actualités du droit